Introduction
Le 4 mars 2023, l’Accord de mise en œuvre sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale (Accord BBNJ) dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) a été adopté après près de deux décennies de négociations. En tant que troisième « enfant » de l’UNCLOS, l’Accord acquiert de ses parents et de ses frères et sœurs certaines caractéristiques essentielles, mais est également doté de ses propres caractéristiques. En ce qui concerne le règlement des différends, cela signifie que l’Accord BBNJ, à l’instar de son accord frère sur les stocks de poissons, intègre le système de règlement des différends de la partie XV de la CNUDM, tout en introduisant de nouvelles conditions et limitations pour la disponibilité des procédures obligatoires. Cet article fournit une première évaluation de la manière dont le règlement des différends dans le cadre de l’accord BBNJ diffère de l’UNCLOS et des implications de ces différences. La numérotation des articles utilisée dans ce billet de blog est basée sur le texte avancé non édité adopté le 4 mars 2023.
Règlement des différends dans le cadre de la CNUDM
Le système de règlement des différends prévu par la partie XV combine le recours unilatéral au règlement obligatoire des différends avec une flexibilité considérable. L’article 288, paragraphe 1, confère aux cours et tribunaux compétence «pour connaître de tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention». Cependant, les procédures obligatoires ne deviennent disponibles qu’après que les États ont satisfait aux conditions imposées par la partie XV, section 1. De plus, en vertu de la section 3 de la partie XV, certains types de différends sont exclus de leur compétence en vertu des articles 297 et 298.
Les tribunaux de la CNUDM n’ont pas toujours été cohérents dans l’interprétation des conditions d’exercice de leur compétence. En particulier, ils ont adopté des approches différentes dans l’interprétation de l’article 288, paragraphe 1, laissant ainsi dans l’ombre la portée exacte de la compétence obligatoire. De même, des interprétations diamétralement opposées de l’article 281 de la section 1 ont été proposées, de même que différents tests pour définir l’exception des « activités militaires » au titre de l’article 298, paragraphe 1. Parfois, les tribunaux ont adopté des interprétations qui n’avaient peut-être pas été prévues par les rédacteurs de la Convention, comme l’illustre l’interprétation de l’article 297(1) ou la base sur laquelle le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) a affirmé sa compétence consultative générale. Par conséquent, il existe un certain niveau d’incertitude quant à la portée de la compétence obligatoire en vertu de la partie XV et a suscité certaines critiques selon lesquelles les tribunaux ont outrepassé leurs paramètres de compétence.
Règlement des différends dans le cadre de l’accord BBNJ
Dans ce contexte, les négociations de l’Accord BBNJ ont été marquées à la fois par l’approbation de la structure institutionnelle et par un certain niveau de réticence à l’égard de la partie XV de l’UNCLOS. La partie IX sur le règlement des différends peut être considérée comme un compromis qui reflète les différents points de vue des États sur la portée du règlement obligatoire des différends. L’article 55, paragraphes (1) et (1) bis rend le système de règlement des différends de la partie XV de la CNUDM disponible en vertu de l’Accord, non seulement pour les États parties à la CNUDM, mais aussi pour ceux qui ne le sont pas. Le reste de la partie IX introduit ensuite quelques dispositions supplémentaires.
L’article premier de cette partie, actuellement numéroté 54 ante, prévoit que « les parties coopèrent pour prévenir les différends ». Si cette disposition s’inspire probablement de l’article 28 de l’Accord sur les stocks de poissons et s’y rapproche donc, elle ne précise pas le contenu de cette obligation similaire à son accord frère. La formulation générale de cet article soulève des questions quant à ses implications exactes : entraîne-t-il une obligation supplémentaire de coopérer dès lors qu’il apparaît qu’une situation peut évoluer en litige ? Quand l’obligation de coopérer prend-elle fin, lorsqu’un litige est effectivement né ou jusqu’à ce qu’il soit résolu ? Quelles seront les implications d’un manquement à cette obligation de coopérer ? L’article 54 ante peut avoir pour effet de ralentir le processus qui débouchera éventuellement sur des poursuites obligatoires mais en même temps peut accélérer la cristallisation du litige et donc le processus de règlement. L’impact de l’article 54 ante dépendra donc de la question de savoir s’il sera interprété comme une condition préalable à l’exercice de la compétence ou comme une obligation autonome.
En ce qui concerne la manière dont le règlement obligatoire des différends dans le cadre de l’Accord BBNJ peut différer de celui de l’UNCLOS, les paragraphes 7 et 8 de l’article 55 sont pertinents. Le paragraphe 7 dispose que les dispositions de l’article 55 :
sont sans préjudice des procédures de règlement des différends que les parties ont convenues en tant que participants à un instrument ou cadre juridique pertinent, ou en tant que membres d’un organe mondial, régional, sous-régional ou sectoriel pertinent concernant l’interprétation et l’application de ces instruments et cadres.
Les articles 281 et 282 de l’UNCLOS – qui s’appliquent à l’Accord BBNJ en vertu de l’article 55(1) et 1(bis) – prévoient des exceptions à l’applicabilité de la partie XV de la Convention. Qu’est-ce que le paragraphe (7) accomplit par rapport à ces articles ? Premièrement, le paragraphe 7 ne fait référence qu’aux différends concernant l’interprétation et l’application d’autres instruments et cadres. Ainsi, le paragraphe 7 concerne l’incidence de la partie XV de l’Accord sur les mécanismes externes de règlement des différends. Les articles 281 et 282, en revanche, se concentrent davantage sur l’impact des accords externes sur la partie XV. Deuxièmement, la disposition sans préjudice du paragraphe 7 peut avoir des implications plus larges que les articles 281 et 282. Elle peut être interprétée comme impliquant que les procédures de règlement des différends en vertu d’autres instruments et cadres sont isolées de l’effet du résultat d’une procédure de règlement des différends connexe en vertu de la Accord BBNJ.
Le paragraphe 8 de l’article 55 exclut l’examen des différends concernant le statut juridique des zones relevant de la juridiction nationale et des revendications de souveraineté ou d’autres droits sur un territoire terrestre continental ou insulaire ou une revendication sur celui-ci de la compétence des cours et tribunaux en vertu de l’Accord. L’exclusion explicite des différends de souveraineté au paragraphe 8 peut être considérée comme une réaction au fait que les tribunaux de la CNUDM ont laissé ouverte la possibilité d’examiner des différends de souveraineté dans le cadre du règlement de différends sur le droit de la mer, par exemple avec le « accessoire » et le « poids de la des tests de contestation dans le Aire Marine Protégée des Chagos décerner. L’article 55(8) a maintenant fermé cette possibilité.
L’exclusion par l’article 55(8) des différends concernant le statut juridique des zones relevant de la juridiction nationale ne figure pas dans l’UNCLOS. Une interprétation large de l’expression « statut juridique » pourrait exclure l’examen de toute question liée à la manière dont un État côtier définit sa juridiction et, à ce titre, le statut juridique des zones maritimes de l’État côtier. Cependant, une interprétation aussi large semblerait contredite par le fait que le paragraphe 8 prévoit également que « rien dans le présent paragraphe ne doit être interprété comme limitant la compétence d’une cour ou d’un tribunal en vertu de la section 2, partie XV, de la Convention ». La compétence en vertu de la partie XV de la CNUDM est définie, entre autres, par l’article 297 de la CNUDM qui exclut les différends concernant l’exercice spécifique par l’État côtier de ses droits souverains ou de sa juridiction. Lire le paragraphe 8 à la lumière de l’article 297 signifierait qu’une interprétation large du terme « statut juridique » pour justifier le blocage de la compétence des cours et tribunaux de l’UNCLOS est intenable.
Une innovation institutionnelle importante de l’Accord, par rapport à la CNUDM, se trouve dans l’article 48(6) qui confère à la Conférence des Parties (COP) le pouvoir de demander « un avis consultatif sur une question juridique concernant la conformité avec la présente Accord d’une proposition devant la Conférence des Parties sur toute question relevant de sa compétence » du TIDM. Aucune compétence de ce type pour solliciter des avis consultatifs n’est accordée à la Réunion des États parties à la CNUDM, qui a un mandat très limité par rapport à la Conférence des parties à l’Accord. La reconnaissance explicite de la compétence consultative du TIDM est importante à la lumière de la controverse entourant la décision du TIDM d’établir une compétence consultative dans le Avis consultatif sur la pêche INN. Dans le même temps, le fait que la CdP ait le pouvoir de demander un avis consultatif uniquement sur un type de question spécifique, à savoir la conformité d’une proposition soumise à la CdP avec l’Accord, est sans doute une tentative de circonscrire le mandat du TIDM portée de la fonction de conseil en relation avec l’accord BBNJ. Cela semble être une réponse à certaines des critiques concernant la compétence consultative du TIDM qui refont maintenant surface avec la demande de conseil en attente sur le changement climatique.
Remarques finales
Les dispositions supplémentaires de la BBNJ peuvent être considérées comme une tentative de modifier le compromis sur la disponibilité du règlement obligatoire des différends contenu dans la Convention et la pratique judiciaire qui a opérationnalisé ce compromis. Dans le même temps, les clauses de règlement des différends de l’accord BBNJ lui-même indiquent également qu’il cherche à concilier des points de vue opposés sur la portée du règlement obligatoire des différends. Mais, plus important encore, le règlement obligatoire des différends sera disponible en vertu de l’accord BBNJ et, par conséquent, il restera de la responsabilité des cours et tribunaux de délimiter l’étendue de leur compétence en vertu de l’accord.
