Le 3 septembre 2024, le président russe Poutine, dont l’arrestation est demandée par la CPI pour des crimes de guerre présumés commis pendant la guerre en Ukraine (voir par exemple Sergey Vasiliev), a effectué sa première visite dans un État partie à la CPI (Mongolie) depuis la délivrance du mandat d’arrêt. Malgré les demandes d’arrestation de Poutine, la Mongolie ne l’a pas fait. Le 24 octobre 2024, la Chambre préliminaire II (« CTP II ») a rendu une décision dans laquelle elle a constaté que la Mongolie n’avait pas respecté sa demande d’arrestation de Poutine (« Décision Mongolie »). Même si cette conclusion était prévisible, le raisonnement de la décision s’écarte des précédents d’une manière qui signale un nouvel état d’esprit du PTC II. Mon argument est que cet état d’esprit – ce que je propose d’appeler un « solipsisme cynique » – pourrait être préjudiciable à la vie de l’institution. Compte tenu de la tâche toujours exigeante de la Cour consistant à demander l’arrestation de deux dirigeants politiques d’États non parties, Poutine et le Premier ministre israélien Netanyahu, la CPI devrait sérieusement reconsidérer la manière de dialoguer avec les États pour garantir leur coopération.

Une conversion du raisonnement et sa signification

La Décision de la Mongolie doit être considérée dans le contexte du célèbre Al Béchir saga. Outre l’existence d’une saisine du Conseil de sécurité en Al Béchir et l’absence d’une telle saisine dans Poutinela situation était la même à tous égards juridiques pertinents : il est demandé à un État partie d’arrêter le chef d’État d’un État non partie. Toutes les chambres concernées Al Béchir est parvenue à la conclusion qu’une arrestation n’aurait pas violé l’immunité d’Al-Bashir et que, par conséquent, l’État auquel la Cour a demandé l’arrestation (« État requis ») n’a pas accédé à cette demande. Mais deux lignes de raisonnement différentes ont été avancées : la « voie du droit coutumier » (décisions contre le Malawi, le Tchad et la Jordanie (Chambre d’appel)) et la « voie de résolution du Conseil de sécurité » (RDC, Afrique du Sud, Ouganda, Djibouti, Jordanie (CTP). II), et Jordan(Chambre d’appel)) (pour une analyse détaillée, voir C Kreß « Article 98 » dans Statut de Rome de la Cour pénale internationale (4e éd., 2022) pp 2626-2663). Alors que cette dernière s’appuyait sur la résolution 1593 du Conseil de sécurité, la première était fondée sur le droit coutumier. Dans son Al Béchir Dans sa décision, la Chambre d’appel a approuvé à l’unanimité la voie du droit coutumier et a estimé :

« Il n’y a ni pratique étatique ni avis juridique cela étayerait l’existence de l’immunité du chef d’État en vertu du droit international coutumier vis-à-vis d’un tribunal international. (paragraphe 1)

Malgré son renversement problématique de fardeaula Chambre s’est effectivement efforcée d’établir la non-existence de l’immunité personnelle selon la coutume applicable. Il fallait donc s’attendre à ce que cette voie soit le raisonnement à suivre dans les procédures futures, y compris celles de l’affaire Poutine (voir aussi Yunqing Liu). La Mongolie s’attendait à la même chose, comme le montre clairement sa communication écrite critiquant abondamment la voie du droit coutumier.

On ne peut qu’être surpris que, lors de la première décision de non-conformité Poutinele PTC II semble suivre une logique différente. Le héros de PTC II :

« La Chambre note que la question examinée n’est ni de savoir s’il existe une immunité pour les chefs d’État en vertu du droit international coutumier vis-à-vis d’un tribunal international, ni si les États non parties sont liés par les dispositions du Statut. […] La question à laquelle la Chambre doit répondre dans la présente affaire est de savoir si les États parties, y compris la Mongolie, […] ont l’obligation d’exécuter un mandat d’arrêt contre le chef d’un État non partie conformément à l’article 27 du Statut. (paragraphe 20)

Cela dit, il passe à l’interprétation du Statut :

‘[A]L’article 27 du Statut a pour effet de supprimer toutes les immunités juridiques internationales des représentants officiels, y compris des chefs d’État, et lie à cet effet les États parties. […] de ne reconnaître aucune forme d’immunité ni d’appliquer les règles procédurales particulières qu’ils peuvent attacher à toute personne. […] Par conséquent, toute obligation bilatérale défendable que la Mongolie pourrait avoir envers la Fédération de Russie de respecter toute immunité applicable que le droit international pourrait accorder aux chefs d’État n’est pas susceptible de supplanter l’obligation que la Mongolie a envers la Cour […]. Compte tenu de sa nature et de son objectif, une telle obligation multilatérale ne peut être modifiée ou remplacée par aucun engagement bilatéral susceptible d’entrer en conflit avec les objectifs du Statut de Rome. […] [P]L’immunité personnelle des fonctionnaires, y compris des chefs d’États tiers, n’est donc pas opposable dans une procédure devant la Cour […].’ (paragraphes 27-28 et 36, italiques ajoutés)

Le constat de non-conformité de la Cour repose essentiellement sur ce raisonnement. Bien que cela donne lieu à diverses critiques sérieuses, je voudrais souligner un changement problématique dans la mentalité judiciaire que signifie cette façon particulière de procéder. En effet, la Décision de la Mongolie se démarque des précédents en raison une absence totale de références à des sources du droit international en dehors du Statut de Rome là-dedans.

Le solipsisme cynique du PTC II

Le nœud du problème est de savoir pourquoi les Chambres sont en Al Béchir s’est appuyé sur les deux voies indiquées ci-dessus. La réponse semble être la suivante : puisque l’arrestation d’Al-Bashir a posé des problèmes juridiques du point de vue des États requis dans leurs relations avec le Soudan (un État non partie au Statut de Rome)la Cour a dû expliquer pourquoi, à son avis, il n’y avait pas dans cette relation des problèmes tels que les États pensaient qu’il y en avait. Une explication convaincante nécessitait donc de recourir aux sources du droit international qui régissaient les relations entre les États requis et le Soudan. Par conséquent, la référence de la Cour à la coutume et/et à la résolution 1593 implique la reconnaissance par la Cour des droits possibles des États non parties et de leur pertinence juridique également pour les procédures devant la Cour ou, en terminologie moins technique, elle implique la reconnaissance par la Cour de la légitimité des autres (donc les « autres » ici ne sont pas ennemis mais adversaires au pire. C Mouffe, Sur le plan politique (2005), p. 20). En fondant son raisonnement sur une telle reconnaissance, la Cour, en Al Béchir pourrait être considéré comme respectueux un terrain d’entente avec les États sur lesquels ils fondent tous deux leurs revendications. C’est ce motif qui a permis à la Cour de fonctionner comme un pendule entre l’empathie (comprendre les préoccupations des États) et la condescendance (régler ces préoccupations).

En revanche, la Décision de la Mongolie réduit l’ensemble des questions juridiques pertinentes à questions d’interprétation de la loi. À l’exception des sections qui citent les arguments de la Mongolie et les rejettent brièvement, le terme « droit coutumier » n’apparaît pas une seule fois. Dans sa logique, le Statut est fermé et complet, comme s’il n’existait aucun domaine juridique extérieur. D’autres ne sont pris en compte que lorsqu’ils ont des obligations envers la Cour ou portent d’autres obligations que la Cour reconnaît comme opposables à elle-même. Là, l’interprétation et l’application du Statut résolvent tout. Ainsi, le pendule est éternellement coincé à l’extrême de la condescendance : la perspective des États requis, sans parler de celle des États non parties, se transforme presque en une perspective ennemie qui doit être annihilée au nom de la moralité supérieure. C’est pour cette raison que la Décision sur la Mongolie résonne comme un monologue solipsiste. Par « solipsisme », j’entends un état d’esprit dans lequel un sujet ne se perçoit que lui-même, ne voit que ses propres besoins et intérêts, et agit de manière à les universaliser. Pire encore, le solipsisme du PTC II était cynique. La Cour aurait dû être tout à fait consciente de la distance entre son attachement formaliste au Statut et la réalité sociale internationale, mais elle a néanmoins insisté sur la première. Face à un tel cynisme, le pouvoir des critiques rationnelles semble faible, dans la mesure où les juges savaient déjà ce que les critiques allaient dire. Ce que présente la Décision de la Mongolie n’est pas une erreur de droit mais, pour ainsi dire, la volonté perverse d’erreur de la PTC II.

Le panorama est donc sombre.

Une issue

Comme la raison cynique de la Cour peut déjà le reconnaître, l’amélioration de la rationalité interne de la Décision Mongolie (c’est-à-dire l’affinement de l’interprétation proposée du Statut) ne résoudra pas le problème de la non-coopération dans ce type de situation. Car du point de vue des États, la Cour solipsiste assume l’apparence d’un ennemi, et sa logique est simplement une hérésie (A Fischer-Lescano et G Teubner, ‘Regime-Collisions’ (2004) p 1005; cf H Morgenthau, La politique parmi les nations (1ère éd., 1949) pp 182-183).

Une solution consiste à retrouver le terrain d’entente perdu. En l’absence d’une saisine du Conseil de sécurité, comme dans Poutineseule la voie du droit coutumier offre un terrain d’entente. En effet, la frustration de la Cour face à la voie issue de l’expérience Al Béchir est compréhensible. Mais la stratégie de la Cour ne devrait pas consister à se replier sur son propre système fermé, mais plutôt à s’engager patientement dans un projet de (re)description et de (re)formation du droit international coutumier pertinent. La Cour devrait/peut encore faire beaucoup dans ce sens. Le raisonnement avancé dans l’arrêt de la Chambre d’appel devrait être amélioré, par exemple en affinant le concept de « tribunal international » ; réinterprétant la dissociation par la CIJ des questions d’immunité et de responsabilité pénale individuelle (Mandat d’arrêt paragraphe 60), etc.. Devrait-il y avoir un sentiment au sein de la Cour que le statu quo du consensus international sur la coutume en question doit être contre elle, il convient de rappeler à la CPI l’attitude de la Cour constitutionnelle italienne dans son arrêt no. 238 (2014). Face au dilemme entre l’obligation coutumière de l’Italie, identifiée par la CIJ, de conférer l’immunité aux actes des forces armées allemandes et les valeurs fondamentales italiennes consistant à garantir réparation aux victimes, la Cour a courageusement plaidé en faveur d’un changement de coutume et a étayé avis nécessaire créer un précédent pour le changement à venir (M Frulli « Time Will Tell Who Just Fell and Who’s Been Left Behind » (2016) pp 593-594). Si un tribunal national peut le faire, pourquoi un tribunal international ne le pourrait-il pas ?

En somme, c’est en se référant à un cadre juridique qui est partagé avec d’autres dans son jugement selon lequel un sujet solipsiste retrouve la socialité et le droit de participer au dynamisme de la construction d’une communauté universelle (M Koskenniemi « Legal Universalism » dans Droit, justice et pouvoir (2004) pages 61-62). Pour la CPI, la réactivation de la voie du droit coutumier est la sortie la plus proche d’un monde de solitude et l’élan nécessaire pour reprendre le mouvement de pendule. L’alternance de la Cour entre l’empathie (comprendre les préoccupations des États) et la condescendance (produire des décisions créant un précédent) est essentiellement le dynamisme qui lui permet de s’exprimer dans un langage universel et de s’engager dans le développement du droit international.

Conclusion

Si la CPI veut maintenir le raisonnement de la Décision de la Mongolie, l’impact global des décisions de non-conformité sera considérablement réduit. Car le non-respect devient alors une affaire locale racontée dans une langue vernaculaire appelée Statut de Rome, loin de plaire à la communauté internationale dans son ensemble. Cela finira par éroder la prétention de la Cour à l’autorité mondiale. Maintenant qu’un mandat d’arrêt a également été émis contre Netanyahu, une telle particularisation du système de la CPI doit être évitée.

Suite à la décision de la PTC II, la Mongolie a rapidement soumis une demande d’autorisation de faire appel en faisant référence à des questions de droit coutumier. Le CCI devrait par tous les moyens profiter de cette opportunité pour sortir du solipsisme cynique. En tant que géant sans membres, il ne devrait jamais rester dans l’ignorance béate des autres.

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